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Accueil > Histoire et Patrimoine > Mémoire & Histoire locale > La Grande Guerre > Les lettres de Félix Bourbon

7 mars 1915
Mis en ligne le 5 mai 2010 par
Dernière mise à jour le 5 mai 2010
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Ma chère Eugénie

Je n’ai pas besoin de te dire que je suis heureux quand je reçois de tes bonnes nouvelles. Comme cela console ! A vous lire tous, on oublie ses misères. A part un bon rhume qui pourtant s’en va, la santé n’est pas trop mauvaise. Restent bien mes oreilles qui ne sont encore pas complètement rétablies, pourtant il y a du mieux. J’entends à peu près à présent. Le matin même, tout va bien, mais quand arrive le soir, la gauche fait – c’est le cas de le dire – la sourde oreille.

Puisque je suis en train et que j’ai quelques minutes devant moi – Bertrand et Guinet n’étant pas venus me voir ce soir – je vais te raconter en grand notre terrible journée du 18 février.

Figure toi la côte de Pétessé faisant un mamelon comme celui de Marcieux. Ce mamelon est occupé par les boches qui sont dans les tranchées. Ce mamelon, pour une raison ou pour une autre, les chefs le veulent. Il faut sacrifier des troupes, la coloniale est là. Rapidement, nous sommes sur les lieux. Dissimulés dans une ancienne forêt, nous attendons, ne sachant rien de ce qui se passe, puisque nous sommes dans un secteur inconnu.

Vers midi, on vient nous avertir. Ah ! pour qu’on nous le dise, il y aura du vilain. Nous nous regardons les uns les autres. Nous nous prenons mutuellement nos adresses, puis le moment d’émoi passé, nous nous encourageons les uns les autres.

Tout à coup notre artillerie, par un feu violent, terrible, tape dans les tranchées des boches et les mets les pattes en l’air. Elle favorise ainsi notre assaut. Quand nous arrivons à la lisière du bois, déjà deux compagnies, celles de Bertrand et Guinet grimpent le mamelon.

Les boches qui n’avaient rien dit jusqu’à présent commencent une canonnade extrêmement violente. Nous voyons nos camarades grimpant sans sourciller sous les marmites qui tombent dru comme de la grêle. On voit les colonnes disparaître dans la fumée des marmites. A notre tour, il faut rentrer dans cet enfer, il faut y aller. Pas un ne bronche ! Nous rentrons dans la fournaise sac au dos, baïonnette au canon.

Les compagnies de Bertrand et Guinet avaient grimpé tout droit comme si tu montais à Pétessé. Nous, nous faisons le mouvement tournant pour prendre les boches par derrière, c’est à dire, nous marchons sur les flancs du mamelon. Les marmites tombent plus fort que jamais. La poudre nous empoisonne et nous sommes recouverts de terre, les éclats nous ronflent autour, qu’importe ! Nous avançons toujours, toujours, irrésistiblement dans un gros terrain où nous enfonçons souvent jusqu’aux chevilles. Il nous fallut une forte demi-heure pour arriver à la butte (figure toi des épeniots) que nous devions occuper.

Je n’en pouvais plus. Les marmites tombaient plus dru que jamais. La butte était là à trente mètres. Le courage me manqua. J’avais soif. Crever pour crever me dis-je bois donc pour la dernière fois. Je pris mon bidon, une marmite tomba, me couvrant de terre. Cela me dérangea pas, j’étais résigné. J’envoyais un dernier baiser à ma chère Alice, et un affectueux bonjour à vous tous. Je bus. Une autre marmite tomba derrière ; elle me fis autant manger de terre que je bus d’eau. A bout de forces, je ne daignais même pas baisser la tête pour éviter les terribles éclats. Ah que la vie est petite à ces moments là.

L’eau sale que je bus me redonna des forces. Je regardais les « épegnots », insensible aux marmites. Monterais-je, ne monterais-je pas ? D’un bond, dans un suprême effort, j’étais à la butte. Je m’accrochais aux branches et respirai. Une belle pipe, que les boches avaient perdu en déguerpissant, était à mes pieds. Je n’eus pas le courage de la ramasser.

Mon caporal me rejoignit. Les marmites balayaient la butte au sommet de laquelle je voyais un trou où nous pourrions nous abriter un peu. Ramassant encore nos forces, nous aidant l’un l’autre, nous y arrivâmes. Oh ! Ça tapait de plus en plus fort. Il en venait maintenant de Metz, de Bois le Prêtre, de je sais où ; mais des grosses de 210. Elles tapaient sur notre tête, sur les côtés, nous recouvrant de cailloux et de terre. C’est là que fut tué mon capitaine, que mon sergent eut la jambe brisée ; mon caporal, une légère blessure au genou dont il n’est pas encore guéri, et que moi-même, je suis frappé, au talon d’abord, puis au mollet. Enfin, je m’aperçoit le surlendemain que mon sac était percé. Quelles terribles minutes ! Nous comptions sur la nuit. En effet, les marmites s’arrêtèrent. Il en tomba toute la nuit, mais ce n’était plus rien. Notre misère avait duré plus de deux heures. Je pensais que cela me servirait de purgatoire. Enfin, le (illisible) était à nous ! Il n’y avait qu’à y aller, mais comme tu vois, le chemin n’était pas très favorable.

Nous passâmes la nuit grelottants de froid dans notre trou. Avant le jour, on nous relève. Quel soupir, ma chère Eugénie. Je ne te parle pas des souffrances de la journée, il avait plu toute la matinée et nous avions le ventre vide. Maintenant il faut que je te fasse rire. J’ai fait une partie du chemin avec ma pipe. J’ai juré de tomber avec elle. Ça ne fait rien, si je la serrais autant que mes fesses, je ne risquais pas de la perdre.

Il faut bien aussi que je te cause de cet ami Guinet qui a fait une valse, pas une ordinaire. Une marmite l’a transporté comme les sarvants du temps jadis dans un autre trou de marmite plein de boue. Il fut quelques instants à revenir à lui. Il avait un flacon de chartreuse, il en but – elle le remit – et partit. Toujours vaillant, toujours Boer, il regagna, au milieu des marmites sa compagnie. Notre merveilleux 75 qui appuyait toujours notre assaut, tapant toujours dans les tranchées des derniers boches qui se sauvaient, allait maintenant devenir dangereux pour nous-mêmes. Boer partit avertir. Je pense voir bientôt briller la médaille des braves sur sa poitrine. Elle ne sera pas volée. Il a d’ailleurs été malade huit jours, mais n’a pas lâché son service. J’oubliais de te dire qu’un éclat d’obus avait cassé la crosse de son fusil, qu’un shrapnell indiscret avait fouillé la cartouchière d’arrière et lui avait réduit plusieurs cartouches en tire-bouchon.

Tu me liras comme tu pourras. Je t’écris au galop, étendu sur la paille, appuyé sur ce sac que j’aime beaucoup depuis qu’il a redressé si bien les éclats d’obus pour moi.

Joseph m’a écrit. Il veut m’envoyer son tabac. Tu parles si je n’ai pas refusé !

Courage et patiente. Ça viendra ! Nous sommes supérieur en nombre à présent. Si tu voyais travailler notre artillerie !

Ton beau frère qui t’embrasse bien fort ainsi que mes neveux.

Félix.

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